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Portrait

Anna, le parcours d’une battante

Publié le 17 décembre 2018

Anna YON YUE CHONG est une polynésienne qui a fait des études de finance en école de commerce. Alors qu’elle était destinée à une brillante et sage carrière de cadre en entreprise, elle donne la priorité au sport qui la passionne depuis maintenant six ans : la boxe thaï… Elle raconte son parcours à Femmes de Polynésie

LES ÉTUDES ET LE SPORT

Gamine, Anna a passé son enfance à construire des cabanes dans la montagne avec ses cousins, à regarder Dragon Ball Z et le Club Dorothée à la télé, à pêcher le week-end à la presqu’île avec ses grands-parents. Rien ne prédestinait la petite Anna à devenir la championne qu’elle est aujourd’hui.

Anna a réalisé un parcours de trois ans en école de commerce à Bordeaux, en Audit et Contrôle de gestion. Alors qu’elle s’installe fin 2012 en région parisienne, à Levallois-Perret pour compléter son cursus par un second master en alternance – qu’elle n’achèvera pas – elle veut absolument pratiquer un sport en club. Elle aime le sport depuis toujours, et cela lui permettra de s’intégrer à son nouvel environnement. Mais vers quoi se diriger dans cette commune de la banlieue nord de Paris ?

« le hasard a décidé pour moi : je ferai du kickboxing et de la boxe thaï »

Elle trouve une solution toute simple pour trouver une discipline et s’intégrer à Levallois : y aller au hasard, au pifomètre…Pour cela elle prend la liste des clubs sportifs de la ville, ferme les yeux, et pose son doigt au hasard, qui désigne un club de… kickboxing et de boxe thaï ! Bonne ou mauvaise pioche ? elle ne le sait pas encore mais fait confiance au hasard, au destin, et intègre ce club.

Elle a quand même en tête le vague cliché d’un sport de racailles. Très vite, elle constate pourtant que toutes les couches sociales sont représentées. Elle s’accroche et y prend goût. C’est dur, reconnait-elle, mais elle adore. Elle s’entraîne tous les soirs de 20:30 à 22:00, après ses journées en cabinet d’expertise comptable et ses heures d’études.

Au club, elle est admirative devant Richard Sylla, qui la prend sous son aile. Il a été champion de France, d’Europe et du Monde de kickboxing, de boxe française et de full contact dans les années 80.

« c’est un sport où l’agressivité est contrôlée »

Elle apprécie également Aziz, un prof qui part souvent en camp d’entraînement thaïlandais et lui enseigne le contrôle de son agressivité, et, à l’appartement, elle passe du temps sur Youtube pour suivre les exploits de Damien Alamos, le plus jeune français à avoir décroché, à 19 ans, la ceinture du Lumpinee, un des stades mythiques de la discipline en Thaïlande – et à l’avoir défendue trois fois avec brio.

Au bout de quelques mois d’entraînement acharné et concluant, Richard et Aziz lui proposent un premier combat en Kick Boxing classe B. Ils partent finir sa préparation en camp hollandais, chez leur ami Fred Royers. La préparation aura été difficile, Richard étant très exigeant et Anna encore jeune et fougueuse, n’écoutant qu’elle-même. C’est là que tout s’est joué, dans sa réussite à finalement laisser la voix de son coach entrer dans son esprit.

Pour son premier combat, elle est opposée à la championne d’Île de France en titre. Anna domine le combat et remporte la victoire. Elle arrache même quelques larmes à son papa parisien Richard Sylla !

« je rentre à Tahiti pour mon travail »

C’est un poste dans un cabinet d’Audit qui la fait revenir au Fenua, alors qu’elle était sélectionnée pour le championnat de France, et qu’elle devait finir son 2e diplôme. Une fois de retour, Anna se trouve un club à Pirae pour s’entraîner régulièrement, sauf que, pendant trois ans, elle ne participe à aucun combat. Son travail est, il faut dire, prioritaire et très prenant, surtout en période fiscale, pic de l’activité dans son domaine.

Côté adversaire, il n’y a personne, aucun combat féminin n’a lieu durant ces trois années. Malgré tout, Anna s’entraîne quand elle peut, en loisir, et profite de ses congés pour part en camp d’entraînement en Thaïlande, à Phuket et Pattaya. Ses congés ne sont hélas pas suffisants pour lui permettre d’être au point et combattre sur place.

LES DIFFICULTES POUR TROUVER DES COMBATS

Frustrée de ne pas pouvoir combattre, Anna a un nouvel espoir quand en 2016 elle rencontre Walter, président d’un autre club qui, enfin, lui propose un combat. Mais les adversaires féminines ne sont pas nombreuses et celle qu’elle devait affronter ne se présente pas le jour de la pesée. Découragée par trois retraits d’adversaires d’affilée, elle arrête un temps l’entraînement en club local.

Les jeux d’Asie 2017 au Turkménistan se profilent. Anna adresse une lettre enflammée au président de la fédération, lui demandant de faire une place aux femmes pour ces jeux et pour les combats en général. Après avoir gagné son combat de sélection, Anna y participe après avoir démissionné de son poste dans une banque locale. Sa préparation sera très poussée avec la fédération locale.

Elle s’incline en quart de finale contre le Vietnam, avec un seul point de différence… Mais elle a enfin disputé un nouveau combat, de haut niveau en classe A, celui des élites et des professionnels.

BOXER EN THAÏLANDE

De novembre 2017 à mars de cette année, Anna s’installe en Thaïlande, dans le berceau du sport qui la passionne, plus précisément dans le camp d’entraînement HONGTHONG MUAY THAI de Chiang Maï, capitale de la boxe thaï féminine, où plusieurs combats féminins ont lieu chaque soir dans les différents stadium.

Elle adore le pays et l’ambiance, et s’intègre sans problème à la population et au mode de vie, se fait adopter par une famille thaïe qui vient l’encourager lorsqu’elle combat et lui fait découvrir la ville, la vie, hors des circuits touristiques.

C’est un rythme d’entraînement qui n’a plus rien à voir avec ce qu’elle faisait avant : là, on est sur du plein temps, deux entraînements par jour, six jours sur sept, entourée de combattants locaux et internationaux, et Anna s’éclate. Sur quatre combats, elle signe quatre victoires !

Et quand elle sort le soir c’est pour traîner dans les stadiums, et assister aux combats le soir, l’entrée étant gratuite à vie pour les combattants qui ont foulé chaque ring.

La vision thaïlandaise de ce sport la fascine, le fait que l’on distingue la domination de l’agressivité, la différence de valeur des coups portés. Ses entraîneurs et sa famille d’adoption lui permettent de progresser dans sa lecture du combat à la thaïe. C’est aussi ça la beauté de ce sport, la rencontre de l’autre et la progression personnelle.

« un coup de poing ne vaut rien, c’est l’équilibre qui compte »

Après un essai de compétition mal géré en Nouvelle-Zélande, elle rentre à Tahiti en avril 2018.
Se profilent alors les championnats du monde au Mexique. Elle y participe, représentant toujours les couleurs de la Polynésie, mais perd en 8ème de finale face à la Finlande.

Désormais, elle s’oblige à mieux gérer ses préparations et a recomposé son encadrement avec un préparateur physique le matin, un entraînement pieds poings le soir et l’objectif de se situer en dessous de 60 kilos avant de retourner combattre en Thaïlande, c’est son objectif pour 2019.

FAIRE EVOLUER CE SPORT POUR LES FEMMES

En Thaïlande, la boxe thaï est avant tout un sport masculin. Il y a d’ailleurs trois sites prestigieux où se déroulent les plus grands combats : Lumpinee, Raja et Omnoi, tous les trois exclusivement réservés aux hommes.

Une tradition en dit long également sur la différence faite entre les hommes et les femmes : celles-ci doivent rentrer sur le ring en passant sous les cordes, alors que les hommes rentrent pour combattre en passant par-dessus les cordes.

Une sorte de ségrégation qu’il faut respecter pour boxer là-bas, et qui est acceptée par les thaïlandaises et les farang (étrangères). Il semble qu’il y ait pourtant un peu d’espoir d’évolution, puisque le Kawila Stadium de Chiang Mai, un stade militaire, a récemment autorisé les combats féminins et qu’Anna a pu y combattre en janvier cette année.

« je veux faire évoluer ce sport pour les femmes ! »

Aujourd’hui Anna souhaite qu’il y ait assez de compétitrices polynésiennes pour permettre des combats intéressants dans les bonnes catégories de poids.  Elle rêve aussi de voir la boxe thaï acceptée aux Jeux Olympiques, ce qui est en bonne voie et qui permettrait d’accélérer le développement de la pratique féminine.

Elle cite Anne-Caroline Graffe, la championne polynésienne de tae kwon do, médaille d’argent aux Jeux Olympiques… la voir en finale des JO l’avait inspirée et poussée à se trouver une discipline de combat qui lui plairait.

C’est chose faite. Comme elle, Anna voudrait montrer l’exemple, à son échelle à elle. Elle répond favorablement aux demandes d’ateliers d’initiation – découverte de la boxe thaïe quand elle est disponible.

Anna, qui est aussi championne de ball-trap et passionnée de photographie, conclut notre entretien avec un message pour les jeunes polynésiens, en les incitant à oser, à ne pas se freiner, car rien ne vient des autres, et elle termine avec cette phrase de Sénèque :

« ce n’est pas parce que c’est difficile qu’on ose pas… c’est parce qu’on ose pas, que c’est difficile ! »

Laurent Lachiver
Rédacteur web

© Photos : Laurent Lachiver et Anna YON YUE CHONG

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